- Vous n’avez qu’à les poser là…
- Là ?
- Oui, s’il vous plait, là. Voilà…
- Bien, comme vous voulez.
- Merci et à bientôt…
- Vous êtes sûre que ça va aller.
- Oui, oui, ne vous inquiétez pas, je n’ai pas besoin de grand-chose, j’ai tout ce qu’il me faut.
- Bon, comme vous voudrez… Je repasserai dans une semaine.
- Merci Noungou. Merci pour tout. Vraiment.
Ici ou ailleurs… ça ne faisait pas grande différence. Elle était fatiguée, il était temps qu’elle pose ses valises. L’endroit lui avait paru hospitalier, elle n’avait rien réfléchi, rien calculé. En tout cas il était suffisamment isolé de toute civilisation pour qu’elle puisse respirer. Là, voilà, elle respirait… Malgré la chaleur ambiante, elle respirait. Elle aimait cette moiteur. Retour aux sources.
Elle n’avait jamais su où aller, tout simplement parce qu’elle ne savait pas d’où elle venait… D’où venait-elle ? Elle en savait le continent mais c’était tout. Elle était une éternelle perdue. Elle savait l’erreur de peau aussi. Il y a parfois des erreurs lors des naissances, elle, elle avait fait l’objet d’une erreur de peau.
Elle pensa que peut-être elle allait rencontrer une femme noire qui chercherait sa peau blanche, elles pourraient peut-être échanger, genre « la vie est un long fleuve tranquille »…
C’était idiot, elle avait toujours des pensées idiotes, elle ne pouvait s’en empêcher.
Née de père inconnu… Tout de suite, ça force le respect. Hé ben non, son père à elle avait été connu. Connu de la société, de sa famille, de tout le monde… sauf d’elle. Alors, elle le rêvait. Elle le rêvait noir, elle le savait blanc. Elle le rêvait robuste, elle le savait fragile. Elle le rêvait vivant, elle le savait mort. Mort comme ses rêves de petite fille, calcinés par des mensonges d'adultes…
Seule. Elle était seule et cette fois elle l’avait choisi. L’avantage lorsqu’on le choisit c’est qu’on ne peut s’en plaindre. Là, personne ne l’avait lâchée, elle s’était lâchée toute seule. Elle voulait faire l’expérience du « lâcher », elle était arrivée à un moment de sa vie où le lâcher s’imposait : lâcher de valises, lâcher de gens, lâcher de valeurs, lâcher de tout. Plus que jamais, elle était plus dans l’Etre que dans l’Avoir et elle souffrait de plus en plus d’isolement. La communauté qui l’entourait là-bas ne comprenait pas ce détachement à la matière. Tous ces gens qui n’avaient de cesse que d’amasser plus d’objets, plus de denrées, plus de confort, plus d’inutile pour combler leur manque d’amour ou de cœur. Elle, elle se voulait légère et pour ça, il fallait qu’elle lâche…
Elle pleura. Elle pensa qu’elle était Rafara la petite fille adandonnée dans la brousse, et que le monstre dévoreur d’enfants perdus allait venir la prendre pour la dévorer. Mais ça aussi c’était idiot, elle n’était plus une petite fille, les monstres ne raffolent que de chair fraîche, c’est connu. Elle s’endormit.
Quand elle s’éveilla, le soleil avait décliné et elle constata qu’elle avait une tente à monter, elle était nulle en montage en tout genre. Elle se dit que si Harrison Ford passait par là elle dirait oui pour la construction de cabane (et pour le reste aussi ! ). Mais ce jour là, il passa ailleurs alors elle dut se débrouiller, non sans pester, mais au bout de quelques heures de gesticulations transpirantes elle se trouva devant quelque chose qui pouvait ressembler à un abri et même plus si affinité.
Elle alla jusqu’au marigot pour tenter une toilette et c’est, comme toujours, au contact de l’eau qu’elle se sentit exister. Elle décida de se débarrasser aussi de ses vêtements d’Européenne, elle fit un feu avec. Après un repas sommaire, elle s’enroula dans un pagne et s’allongea au sol pour contempler les étoiles.
Un chant africain lui vint, elle s’écouta chanter, sa voix lui plut, ce chant venait du ventre, elle sentit la rondeur du son se promener dans son corps, elle se laissa vibrer … Et puis, émue, elle entendit la voix du griot qui le lui avait appris se mêler à la sienne. Elle croyait les avoir oubliés, lui et sa voix... Mais non bien sûr, elle était incapable d'oublier une voix et surtout pas celle-là. Elle chanta encore et encore, elle était heureuse, entière. Elle se mit à l’abri, enveloppa les gens qu’elle aimait d’un voile de pensées et elle s’endormit à nouveau, là sur cette terre… sa terre.
Quand elle se réveilla, Noungou était là, elle lui demanda pourquoi il venait si tôt. Quand il lui répondit qu’il tenait toujours parole et qu'il y avait exactement une semaine qu’il l’avait laissée, elle ne comprit rien.
Elle ne sut jamais si elle avait dormi pendant 7 jours ou si elle avait perdu la mémoire de son séjour. Mais elle ne chercha pas à comprendre, l’important c’était qu’elle se sentait reposée et sereine, habitante de son corps et qu’elle pouvait désormais rejoindre sa vie.